Photographie narrative

Échauffement

Avant de commencer à photographier, posez-vous cette question essentielle : Qu’est-ce qui peut changer le regard que l’on porte sur un sujet, une scène ?

  • Proposez une mise en scène de divers objets de telle sorte que celle-ci offre au spectateur une dimension narrative
  • Réalisez la première prise de vue : une photographie « mystérieuse » en vous focalisant sur un point de la scène
  • Puis sans changer le cadrage, la mise au point, etc., photographiez à nouveau : les nouvelles prises de vue dévoileront le mystère
  • Rapprochez les photos retenues dans un accrochage temporaire.

Proposition

Réalisez une série photographique d’un même sujet d’une même scène, qui raconte une histoire. Présentez-la dans un accrochage pertinent.

#point de vue #cadrage #profondeur de champ #mise au point #spectateur-lecteur #installation
  • Concevez maintenant une mise en scène plus complexe (avec des personnes, des objets, etc.) puis reprenez l’expérimentation des prises de vues
  • Accentuez la dimension narrative en modifiant la mise en scène, en jouant avec les différents plans, la lumière et les autres moyens plastiques que vous jugerez nécessaires, en variant les scènes…
  • Photographiez autant de fois que nécessaire
  • Donnez à voir la série photographique dans un accrochage accentuant sa dimension narrative.

Votre projet suppose au préalable quelques croquis pour une meilleure prise en compte de la prise de vue.

Vous vous interrogerez sur les notions de point de vue, d’angle de vue, de cadre, de profondeur de champ et de mise en scène en relation avec le terme de « regard » sous la forme d’une carte mentale avant de réaliser et d’installer votre série.


Objectifs pédagogiques

La séquence a pour objectifs d’amener les élèves à :

  • aborder la question de la réalité, de l’image « vraie » dans la pratique photographique narrative
  • saisir que l’œuvre se nourrit de l’expérience personnelle du spectateur, du regardeur ; comprendre que la photographie révèle également les intentions du photographe
  • prendre conscience de l’importance du point de vue et interroger sa spécificité
  • recourir à des outils numériques de captation et de réalisation à des fins de création artistique.

Questions

En quoi la volonté de raconter – quel que soit le médium – induit-elle une organisation, une syntaxe, des codes ? Comment votre intention initiale devient-elle lisible aux yeux du spectateur ?

La série photographique propose-t-elle, d’elle-même, un ordre de lecture ? L’accrochage et la légende dirigent-elles la compréhension de la réalisation ?

En quoi le point de vue du spectateur peut-il faire partie du processus artistique ? Dans quelle mesure l’espace d’exposition peut-il devenir une partie de la production artistique ?

En quoi les choix de cadrage, de mise au point et de point de vue peuvent-ils faire sens ? Comment le photographe fait-il prendre conscience qu’une photographie peut être une démarche artistique ?

[Cf. La figuration et la construction de l’image ; la présence matérielle de l’œuvre dans l’espace de présentation ; sollicitation du spectateur]


Ne pas confondre

Dans les années 1970, l’expression Narrative Art (Narration figurative) baptise de nouvelles pratiques artistiques qui marquent un retour à la narration en combinant photographie et texte. Ce courant international apparu en marge de l’art conceptuel, révèle une sensibilité de l’époque. Identité, mémoire, autobiographie et fiction en sont les thèmes dominants. L’art narratif fait appel à l’imagination du spectateur-lecteur pour reconstituer le sens du récit transmis à la fois par l’image et le langage.

Il faut éviter de confondre Narration figurative avec Figuration narrative, qui quant à elle, est un mouvement artistique apparu, principalement dans la peinture, au début des années 1960 en France, dans le cadre du retour à la nouvelle figuration et en opposition à l’abstraction et aux mouvements contemporains du nouveau réalisme et du pop art, auquel elle est néanmoins associée.


Niveaux de maîtrise

ComposantesCompétencesNiveaux de maîtrise
Pratique plastique et artistiqueS’engager dans une démarche personnelle, en appréhendant sa nature, ses contenus et sa portée, en justifiant des moyens choisisJe conçois, réalise et présente mon projet abouti, en le mettant en valeur avec maîtrise et assurance.
Choisir ses propres moyens d’expression en fonction d’un projet, expérimenter des langages plastiques et des techniques au service de ses intentionsJe recours de manière fiable à la photographie numérique et aux outils numériques de post-production pour enrichir ma création artistique.
Envisager et mettre en œuvre une présentation de sa production plastiqueJe considère avec soin les conditions de réception de ma réalisation, en adaptant sa présentation, pour renforcer son impact artistique.
Culture artistiquePrendre l’initiative de se documenter dans le cadre d’un projet (personnel ou collectif), faire une recherche d’images, sélectionner et vérifier ses sourcesJ’exploite, avec attention, les informations et la documentation, en particulier iconique, pour nourrir et enrichir mon projet de création.
Présenter la composition ou la structure matérielle d’une œuvre, identifier ses constituants plastiques en utilisant un vocabulaire descriptif précis et appropriéJ’identifie de manière fiable les caractéristiques plastiques, culturelles, sémantiques et symboliques situant une œuvre dans un contexte.

Focus ou mise au point

La mise au point est l’opération qui consiste, pour un photographe, à régler la netteté du sujet sur la photographie qu’il veut obtenir.

Si la mise au point se fait pour une distance donnée, la zone de netteté acceptable à une certaine extension en deçà et au-delà de celle-ci. Cet intervalle est appelé profondeur de champ*. La mise au point n’implique pas toujours une image nette. Le flou peut être voulu par le photographe ou impossible à éviter pour des raisons matérielles. Le flou peut également être dû à un déplacement sensible de l’objet (flou cinétique) ou de l’appareil (flou de bougé) pendant la pose.

La mise au point se fait par diverses méthodes, selon le type d’appareil utilisé.

*La profondeur de champ décrit la zone d’une scène qui est considérée comme étant nette. Elle est affectée par plusieurs facteurs, mais elle est principalement liée à l’ouverture de votre objectif au moment de la prise de vue.

Références artistiques possibles

  • Piero della FRANCESCA (1412-1492), La Flagellation du Christ, 1455, tempera sur bois de peuplier, 58,4 × 81,5 cm, Galleria Nazionale delle Marche, Urbino
  • Piero della FRANCESCA (1412-1492), Double portrait des ducs d’Urbino, vers 1473, tempera et huile sur bois, 47 x 33 cm, Musée des Offices, Florence
  • Quentin METSYS (1466-1530), Le Prêteur et sa Femme, 1514, huile sur panneau, 71 × 67 cm, Musée du Louvre, Paris
Quentin METSYS, Le Prêteur et sa Femme, 1514
  • Paolo CALIARI dit VÉRONÈSE (1528-1588), Les Noces de Cana, 1562-1563, huile sur toile, 677 × 994 cm, Musée du Louvre, Paris
  • Pieter BRUEGHEL l’Ancien (1525-1569), La Parabole des aveugles, 1568, détrempe sur toile, 86 × 154 cm, Musée Capodimonte, Naples
  • Eadweard MUYBRIDGE (1830-1904), Le baiser. Enfant apportant un bouquet à une femme, 1884-1885, chronophotographie
  • Willy RONIS (1910-2009), Boulevard Richard Lenoir – Paris, 1946, épreuve argentique
  • Andrew WYETH (1917-2009), Christinas World, 1948, détrempe à l’œuf (d), gesso et tempera sur panneau de bois, 81,9 × 121,3 cm, MoMA, NY
Andrew WYETH, Christinas World, 1948

Le punctum d’une photo, c’est ce hasard qui, en elle, me point (mais aussi me meurtrit, me poigne).

Roland BARTHES, La chambre claire. Note sur la photographie, Éd. Gallimard-Le Seuil, 1980
  • Robert DOISNEAU (1912-1994), Le Baiser de l’Hôtel de ville, 1950, épreuve argentique
Robert DOISNEAU, Le Baiser de l’Hôtel de ville, 1950
William KLEIN, Gun 1, New York, October 1954
  • William KLEIN (1926-2022), Gun 1, New York, October 1954, 1954, épreuve argentique ; 50,5 × 40,5 cm, La Maison Européenne de la Photographie
  • Henri CARTIER-BRESSON (1908-2004), Alberto Giacometti, Galerie Maeght, Paris, 1961, 1961, tirage gélatino-argentique
  • Diane ARBUS (1923-1971), Child with a toy hand grenade in Central Park, N.Y.C., 1962 (Enfant avec une grenade en plastique dans Central Park), 1962, photographie
Diane ARBUS, Child with a toy hand grenade in Central Park, N.Y.C., 1962
  • Roy LICHTENSTEIN (1923-1997), WHAAM!, 1963, peinture acrylique, 170 × 400 cm, Tate Modern, Londres
  • Janine NIEPCE (1921-2007), H.L.M. à Vitry. Une mère et son enfant, 1965, tirage gélatino-argentique, Collection MEP, Paris
  • Eduardo ARROYO (1937-2018), Antonio RECALCATI (1938-2022), Gilles AILLAUD (1928-2005), Vivre et laisser mourir ou la fin tragique de Marcel Duchamp, 1965, huile sur toile, polyptyque 163 x 992 cm, toiles de 162 x 114 cm et 162 x 130 cm
  • Michelangelo ANTONIONI, Blow-Up, 1966, film britanno-italien inspiré de la nouvelle Las babas del diablo de Julio Cortázar. Mêlant mystère et réflexion sur la perception de la réalité, il est considéré comme l’une des œuvres majeures du cinéma des années 1960.
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Blow-Up
  • Jacques MONORY (1934-2018), Le Meurtre n°10/2, 1968, série Les Meurtres, peinture en trois panneaux, huile sur toile et miroir brisé avec impacts de balles, 160 x 400 cm, Centre Pompidou, Paris
Michael SNOW, Autorisation, 1969
  • Michael SNOW (1929-2023), Autorisation, 1969, épreuves argentiques instantanées (Polaroïd 55) et ruban adhésif sur miroir dans un cadre de métal, 54,5 × 44,5 cm, Musée des Beaux-arts du Canada, Ottawa
  • Bernard PLOSSU (1945-), Les Alpes, 1970, épreuve argentique
Bernard PLOSSU, Les Alpes, 1970
Christian BOLTANSKI, L’Album de la famille D., 1971
  • Christian BOLTANSKI (1944-2021), L’Album de la famille D. (1939-1964), 1971, installation, 150 tirages noir et blanc encadrés de fer blanc, 220 x 450 cm. L’Album de la famille D. est issu de photographies trouvées, banales, de l’album de famille d’un ami. Il en reconstitue le déroulement chronologique et, d’abord guidé par la découverte d’une lignée singulière, il finit par constater que cette série de photographies, pour témoigner effectivement de l’histoire d’une famille précise, n’apprend rien de spécifique sur la vie de ses membres et ressemble à n’importe quel album de famille.
    « Nous n’apprenons rien sur ce qu’a été la vie de la famille pendant vingt-cinq ans, ces images de rituels familiaux nous renvoient à nos propres souvenirs, à nous-mêmes, tous les albums de photos, à l’intérieur d’une société donnée, sont à peu près identiques, ils ne représentent pas la réalité, mais la réalité de l’album de photos. »
  • William WEGMAN, Dropping milk, 1971, trois photographies noir et blanc, 33 x 25 cm chacune, Coll. de l’artiste, NY
  • Mac ADAMS (1943-), The Mysteries, 1973-1980, série photographique. http://www.macadamsstudio.com
  • Duane MICHALS (1932-), Chance Meeting, 1970, six photographies
Duane MICHALS, Chance Meeting, 1970
Duane MICHALS (1932-), Things are queer, 1973
  • Duane MICHALS (1932-), Things are queer, suite de neuf photographies, 1973. Les jeux entre les espaces perçus et les changements d’échelle lors de la lecture des différentes images font perdre les repères au spectateur, plaçant le spectateur en face des contradictions entre ce qui est vu et ce qu’il pense voir.
  • Robert CUMMING, Bad memories of improper electrical application, 1975, photographie noir et blanc, MoMA, NY
  • Bill BECKLEY (1946-2024), Paris Bistro, 1975, photographies, 198 × 103 cm
  • James COLLINS (1939-), Watching Suzanne in the Grass, 1976, triptyque photographique
  • Bill BECKLEY (1946-2024), Deirdre’s Lip, 1978, photographies et texte, 238,8 x 426,7 cm
Bill BECKLEY, Deirdre’s Lip (1978) et Paris Bistro (1975) ,vue de l’exposition Elements of Romance. Works from the Seventies (2016) au Studio Trisoro à Naples
Sophie CALLE, Douleur exquise, 1984, installation dans l’accrochage elles@centrepompidou, mars 2009- fév. 2011
  • Sophie CALLE (1953-), Douleur exquise, 1984, ensemble dissociable de 9 polyptyques accompagné d’un texte explicatif de l’artiste présenté à proximité de l’œuvre
  • John BALDESSARI (1931-2020), Beach Scene/ Nuns/ Nurse (With Choices), 1991, photographies, peinture acrylique
  • David LaCHAPELLE (1963-), Le Déluge, 2006, impression chromogénique (c-print) montée sur aluminium, 180 x 234,5 cm

Références aux programmes

Domaines de l’investigation et de la mise en œuvre des langages et des pratiques plastiques

La représentation, ses langages, moyens plastiques et enjeux artistiques

  • Jouer avec les procédés et les codes de la représentation, affirmer des intentions
    • Rapport au réel : mimesis, ressemblance, vraisemblance et valeur expressive de l’écart.

La figuration et l’image ; la non-figuration

  • Conjuguer ou hybrider les espaces de la figuration narrative avec le lieu, le texte, la voix, le son, le mouvement
    • La figuration et la construction de l’image : les espaces que détermine l’image et qui déterminent l’image.
    • Temps et mouvement de la figuration : dispositifs séquentiels, simultanéité, enchaînement, temps représenté ou ressenti
    • Narration figurée, supports et langages : intégration sur différents supports, dans l’espace, association avec l’écrit et la voix

Domaines de la présentation des pratiques, des productions plastiques et de la réception du fait artistique : les relations entre l’œuvre, l’espace, l’auteur et le spectateur

La présentation de l’œuvre

  • Exposer, mettre en scène la production et la pratique, solliciter le spectateur
    • Sollicitation du spectateur : stratégies et visées de l’artiste, du commissaire d’exposition, du galeriste, de l’éditeur.

Champ des questionnements artistiques interdisciplinaires

Théâtraliser l’œuvre et son processus de création

  • Mise en espace, mise en scène de l’œuvre : usages de l’architecture d’un lieu, absence de séparation entre public et œuvre, exploitation du cube scénique, implication ou non du spectateur.

*Image mise en avant : photogramme du film Blow-Up (1966), de Michelangelo ANTONIONI avec David HEMMINGS