Le temps comme matière

« Faites du temps lui-même un matériau visible dans votre production plastique. »

#processus #durée #transformation #effacement #usure #mémoire

Vous rendrez compte des étapes de votre processus de création et de vos questionnements par des traces écrites et par des croquis dans votre carnet.

Questions

  • En quoi la perception du temps apparaît-elle au sein de votre production plastique ?
  • Comment votre processus de création ou votre démarche artistique confrontent le spectateur au temps ?
  • Quel rôle le temps joue-t-il sur la perception du spectateur ?

Axes de réflexion

– Le temps comme matière ou transformation

Comment l’œuvre change-t-elle au fil du temps ? L’artiste peut-il laisser la matière évoluer seule ?

  • Andy GOLDSWORTHY crée des œuvres éphémères qui disparaissent ou se modifient naturellement. L’œuvre n’est pas un objet figé, mais un processus où le temps devient un « co-créateur ».
  • Claude MONET reprend le même motif, comme pour la série des Meules ou des Cathédrales, à différents moments pour saisir les variations de lumière. Cette répétition montre que le temps modifie notre perception : le sujet ne change pas, mais chaque toile offre une atmosphère différente.

– Le temps comme mouvement ou action

Comment montrer un mouvement ou une durée en une seule image ?

  • Marcel DUCHAMP avec Nu descendant un escalier (1912) ne représente pas un corps immobile, mais le mouvement décomposé d’un corps qui descend, l’idée de dynamisme, en montrant plusieurs positions de la marche dans une seule image, ce qui rappellent les images scientifiques de la chronophotographie (Étienne Jules Marey, Eadweard Muybridge), où un même corps apparaît plusieurs fois sur la même plaque.
  • Les chronophotographies d’Eadweard MUYBRIDGE montrent les phases successives d’un mouvement (un cheval au galop, une personne qui marche) en « découpant » le temps.

– Le temps comme narration ou mémoire

Une œuvre peut-elle raconter une histoire ? Comment l’artiste évoque la mémoire ou le passé ?

  • Les installations de Christian BOLTANSKI avec photos, archives, vêtements… évoquent la mémoire et l’oubli en montrant que le temps crée des traces, et que l’art peut les conserver ou les questionner.
  • Roman OPALKA de 1965 à 2011 peint les nombres qui se suivent, toute sa vie, du 1 jusqu’à plusieurs millions. Cette œuvre est essentielle pour comprendre la notion de durée et de projet au long terme.

– Le temps comme expérience ou performance

L’œuvre est-elle un moment vécu plutôt qu’un objet ? Le temps de l’artiste fait-il partie de l’œuvre ?

  • Marina ABRAMAVIĆ dans ses performances utilise son corps et montre que le temps peut être mis en tension, vécu physiquement et évoque sa fin par la limite de la performance.
  • Bill VIOLA utilise dans ses vidéos des ralentis extrêmes ou des boucles. Il le ralentit, l’étire et crée ainsi une émotion ou tension particulière.

Références artistiques possibles

  • Pieter BRUEGHEL L’ANCIEN, Chute d’Icare, 1558, huile sur toile, 73,5 x 112 cm, Musées Royaux des Beaux-arts, Bruxelles
Pieter BRUEGHEL L’ANCIEN, Chute d’Icare, 1558
  • Eadweard MUYBRIDGE, The Horse in Motion, 1878, chtonophotographies réalisées dans le cadre d’une mission pour le compte de l’éleveur de chevaux Leland Stanford.
    Animal Locomotion: An Electro-photographic Investigation of Consecutive Phases of Animal Movements est une série de photographies scientifiques de Muybridge d’Eadweard réalisé en 1884 et 1885 à l’Université de Pennsylvanie, pour étudier le mouvement chez les animaux (y compris les humains).
  • Claude MONET, série Cathédrale de Rouen, 1892-1894
    La série des Cathédrales de Rouen est un ensemble de 30 tableaux peints par Claude Monet représentant principalement des vues du portail occidental de la cathédrale Notre-Dame de Rouen (deux autres tableaux représentent la cour d’Albane), peintes à des angles de vues et des moments de la journée différents, série réalisée de 1892 à 1894.
Claude MONET, La Cathédrale de Rouen. Le Portail et la tour Saint-Romain, plein soleil, 1893, huile sur toile, 73,5 × 107 cm, Musée d’Orsay
  • Jacques Henri LARTIGUE, Bichonnade, 40, rue Cortambert, Paris, 1905, photographie, épreuve argentique
  • Marcel DUCHAMP, Nu descendant un escalier (n°2), 1912, huile sur toile, 146 × 89 cm, Philadelphia Art Museum, États-Unis (Cf. Woman Walking Downstairs de 1887, étude photographique composée par Eadweard Muybridge, citée par Duchamp lors d’un entretien)
  • Anton Giulio et Arturo BRAGAGLIA, La Gifle, 1912, photographie argentique
Les frères BRAGAGLIA, La Gifle, 1912
  • Henri Cartier BRESSON, Derrière la gare Saint-Lazare, Paris, 1932, photographie argentique
Henri Cartier BRESSON, Derrière la gare Saint-Lazare, Paris, 1932
  • Yves KLEIN, Saut dans le vide, photographie, 16 octobre 1960, tirage gélatino-argentique unique grand format montrant le photomontage, 124 x 94 cm, réalisé par Harry Shunk pour l’exposition Klein / Shunk à la Kunsthalle de Bâle en 1990
  • Roman OPALKA, OPALKA Détail 1965 / 1 – ∞. « Après dix années de recherches, Roman Opalka conçoit, en 1965, le projet – qui se confond désormais avec celui de sa vie – de représenter en peinture, art de l’espace, l’écoulement inexorable du temps. Ainsi sur la première toile dont le fond a été préparé en noir, il inscrit à la peinture blanche en haut à gauche le chiffre 1 au moyen d’un pinceau n° 0. Il déroule ensuite les nombres successifs jusqu’au bas droit de la toile en saturant la surface du tableau. Leur suite se continue sur les toiles suivantes, de format identique – Détails d’une œuvre totale poursuivie jusqu’à l’infini ou, plutôt, l’indéfini. Après chaque journée de travail, l’artiste prend frontalement, devant sa toile en cours, une photographie de son visage, toujours dans les mêmes conditions d’habillement et d’éclairage, montrant une autre image de l’écoulement du temps sur lui-même. Enfin, s’ajoute le son, avec l’enregistrement de sa voix énonçant en polonais la succession des nombres. »
    Source : Extrait du catalogue Collection art contemporain – La collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne , sous la direction de Sophie Duplaix, Paris, Centre Pompidou, 2007
OPALKA Détail-photo, Centre Pompidou, MNAM
  • Bas Jan ADER, Broke Fall (Geometric), 1971, photogramme de la performance, C-Print, 41,3 × 29,2 cm; MoMA, New York
  • Duane MICHALS, Grandpa goes to Heaven, 1989, tirage au sel d’argent avec texte manuscrit, MEF – Museo Ettore Fico, Turin, Italie
Duane MICHALS, Grandpa goes to Heaven, 1989
  • Christian BOLTANSKI, Réserve des Suisses morts, 1990, 39 photographies en noir et blanc, draps, étagères, lampes, 280 x 330 x 40 cm, Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne
Christian BOLTANSKI, Réserve des Suisses morts, 1990
  • On KAWARA, 8 März 1991, Date Painting, 1991, acrylique sur toile, 20,3 × 25,4 cm, accompagnée d’une boîte contenant un journal de la date.
    Depuis le milieu des années 1960, l’œuvre d’On Kawara repose en grande partie sur les données biographiques de son expérience de l’espace-temps.
    Le 4 janvier 1966, On Kawara peint la première de ses Date Paintings [Peintures de date], basées sur un protocole rigoureux : un monochrome d’une couleur foncée au centre duquel est peinte en blanc la date du jour de réalisation de la toile, dans la langue du pays où l’artiste se trouve à ce moment-là. Chaque peinture est conservée dans une boîte en carton fabriquée sur mesure, et accompagnée d’une page du journal local daté du jour de sa réalisation.
On KAWARA, 8 März 1991, 1991
  • Martin KERSELS, Falling, 1994-1996, triptyque photographique, épreuves gélatino-argentiques, chaque photographie : 76,2 x 101,6 cm, Centre Pompidou, Paris.
    La cascade d’accidents corporels se poursuit avec les Falling Photos de Martin Kersels qui avant de faire des sculptures a étudié les lois de la gravité avec son propre corps. Prenant la forme d’un triptyque, les photographies sont comme autant d’arrêts sur image d’une chute. Encore suspendu dans les airs, le corps massif de l’artiste se découpe sur fond d’étendue neigeuse.
  • Denis DARZACQ, La série La Chute met en scène les corps en apesanteur de danseurs de Breakdance, de Capoeira et de danse contemporaine. Très pures, évitant aussi bien la pose habituelle du genre que la description, ces photographies qui mettent en valeur la performance physique dans sa perfection, mais aussi dans ses déséquilibres, mêlent une incroyable énergie au sentiment de la possible perdition. De fait, ces corps en apesanteur, qui ne sont jamais accompagnés d’ombre portée, deviennent des révélateurs de l’espace urbain. (source http://www.laboratoiredugeste.com)
Denis DARZACQ, The fall N°20, France, Paris, 2006, Denis Darzacq / Agence VU
  • Sam TAYLOR-WOOD, Still Life, 2001, vidéo de 3 min 44
Sam TAYLOR-WOOD, Still Life, 2001, photogrammes
  • Bill VIOLA, Catherine’s Room, 2001, installation vidéo,
Vue de Catherien’s Room, Tate and National Galleries of Scotland, 2008
Vue de l’expostion Bill Viola (2023) à la Boverie, Liège, Belgique
  • Nobuhiro NAKANISHI, Layer Drawing – Cloud/Fog, 2005, impression jet d’encre sur film, 100 × 100 cm (100 feuilles) – “Programme d’exposition d’artistes en résidence 2005 / Automne, transformation / métamorphose » au Centre d’art contemporain Aomori, Japon (20 oct. 20 nov. 2005) – http://nobuhironakanishi.com/gallery/layer-drawings/
Nobuhiro NAKANISHI, Layer Drawing – Cloud/ Fog, 2005
  • Jean-Gabriel PÉRIOT, NIJUMAN NO BOREI (200000 Fantômes), 2007, film expérimental de 10 minutes.
    Ce film composé de photographies provenant de sources hétéroclites (fonds publics, archives de la ville, photographies de particuliers, clichés que le réalisateur a lui-même réalisés sur place) parvient, à partir de fragments de mémoires individuelles, à (re)construire une mémoire collective.
  • Christian MARCLAY, The Clock, 2010
    The Clock de Christian Marclay est une œuvre audiovisuelle d’une durée de 24 heures. Son mécanisme cinématographique est réglé avec la précision d’une horloge et se métamorphose en machine à remonter le temps rythmant, minute par minute, un siècle de cinéma. Christian Marclay y orchestre des milliers d’extraits de films, puisés dans toute l’histoire du cinéma pour composer cette mécanique qui indique l’heure en temps réel, dans chacun des lieux où elle est présentée. Des comédies en noir et blanc aux séries B, des films d’avant-garde aux films à suspens, tous rendent visible le temps qui passe à travers la succession des plans d’horloges, de réveils, d’alarmes, de montres, d’actions ou de dialogues illustrant cet implacable écoulement du temps. Une histoire du cinéma, qui se confond avec notre histoire personnelle – notre horloge biologique, par le truchement du temps réel.
Vue d’une projection au MoMA (2024–2025)
  • Marina ABRAMOVIĆ (1946), The Artist is Present, 2010, performance au Museum of Modern Art (MoMA) de New York.
    Du 7 mars au 31 mai 2010, pendant soixante-quinze jours, soit le temps de sa rétrospective new-yorkaise, Marina Abramović est restée assise sept heures par jour devant une table dans l’atrium du MoMA. Habillée selon les jours d’une longue robe rouge, blanche ou bleue, elle s’est offerte aux regards des visiteurs comme une statue vivante, silencieuse et confiante. Durant sept cent seize heures et trente minutes exactement, sa personne s’est risquée à la contemplation, aux projections comme aux confidences muettes de mil cinq cent quarante-cinq regardeurs. Sa présence, son corps, ses mains, son visage ont été ainsi observés, littéralement « dévisagés ». La mise en scène est simple et rigoureuse. Un carré est dessiné au sol, matérialisant le lieu de la performance. Des spots de studio sont posés à ses quatre coins, propageant dans l’espace une clarté semblable à celle d’un plateau de cinéma, au croisement de leurs rayons, une table en bois carrée avec deux chaises face à face, l’une pour l’artiste, l’autre pour les spectateurs. L’ensemble est sobre. Rien ne distrait et ne détourne le regard de sa présence.
Marina ABRAMOVIĆ (1946), The Artist is Present, 2010
  • Andy GOLDSWORTHY, Colebrook Quarry Rain Shadow.Tasmania 28 February 2024, 6 photogrammes tirés de la vidéo du même nom (: performance filmée in situ à Colebrook, Tasmanie, Australie), Museum of Old and New Art (MONA) de Tasmanie
Andy GOLDSWORTHY, Colebrook Quarry Rain Shadow.Tasmania 28 February 2024

Champ des questionnements plasticiens

Domaines de l’investigation et de la mise en œuvre des langages et des pratiques plastiques : outils, moyens, techniques, médiums, matériaux, notions au service d’une création à visée artistique

La représentation, ses langages, moyens plastiques et enjeux artistiques

  • Le dessin : diversité des statuts, pratiques et finalités du dessin
    • Appréhension et compréhension du réel : observer, enregistrer, transposer, restituer…
    • Expression et création : pratique artistique en soi, variété des approches, des moyens, jeux sur les codes…
  • Rapport au réel : mimesis, ressemblance, vraisemblance et valeur expressive de l’écart
    • Moyens plastiques et registres de représentation : volonté de fidélité ou affirmation de degrés de distance au référent…

La figuration et l’image ; la non-figuration

  • Figuration et construction de l’image
    • Dialogues entre narration figurée, temps, mouvement et lieux : temps et mouvement réels ou suggérés, temps de la production, de la présentation, de la réception, l’éphémère, mouvement du spectateur…
  • Passages à la non-figuration
    • Processus fondés sur les constituants de l’œuvre ou des langages plastiques : autonomie de la forme plastique, conceptions de l’œuvre fondées sur différentes combinaisons géométriques, gestuelles, organiques, synthétiques…

La matière, les matériaux et la matérialité de l’œuvre

  • Propriétés de la matière et des matériaux, leur transformation
    • Caractéristiques physiques et sensibles de la matière et des matériaux : potentialités plastiques de la rigidité, souplesse, élasticité, opacité, transparence, fluidité, épaisseur, densité, poids, fragilité…
  • Élargissement des données matérielles de l’œuvre
    • Introduction du réel comme matériau ou élément du langage plastique : matériaux artistiques et non artistiques, collages d’images et d’objets, stratégies du ready-made…

Domaines de la présentation des pratiques, des productions plastiques et de la réception du fait artistique : les relations entre l’œuvre, l’espace, l’auteur et le spectateur

La présentation de l’œuvre

  • Sollicitation du spectateur
    • Accentuation de la perception sensible de l’œuvre : mobilisation des sens, du corps du spectateur…

  • Image mise en avant : installation de Layer Drawings (2005) de Nobuhiro NAKANISHI