Réalisez une petite série photographique d’autoportraits dans laquelle, non sans humour et jeu, vous chercherez à incarner différents personnages.
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Pour parvenir à « être le portrait de l’autre » et à « être vous-même comme un·e autre », vous explorerez au choix une des différentes thématiques qui sous-tendent l’œuvre de Cindy SHERMAN : l’artifice et le grotesque, la mise en scène et la théâtralité, le corps et la déconstruction de l’identité.
« Plus que jamais, l’identité est malléable et fluctuante : l’œuvre de Sherman le confirme, révélant et critiquant le caractère artificiel de l’identité et la complicité de la photographie dans sa construction. » _Eva Respini
Objectifs pédagogiques
La séquence a pour objectifs d’amener les élèves à :
- s’engager dans une démarche personnelle et l’expliquer à l’oral,
- choisir leurs propres moyens d’expression en fonction du projet, expérimenter des techniques au service de leurs intentions.
Questions
Dans quelle mesure l’autoportrait et ses codes de représentation sont-ils en lien avec le modèle ? En quoi l’écart avec le référent est-il inévitable ?
En quoi la photographie peut-elle interroger le portrait (ou l’autoportrait) et montrer les limites et l’artificialité de sa représentation ?
Comment la pluralité des approches et des partis-pris artistiques ou plastiques modifie-t-elle l’idée même de portrait ou d’autoportrait ?
[Réf. La représentation, ses langages, moyens plastiques et enjeux artistiques ; la représentation du corps]
Échauffement
À l’instar des challenges du Rijksmuseum ou du Getty Museum lors du confinement de 2020, vous êtes au défi avec des objets à portée de main de réinterpréter, de rejouer (re-enactment) des chefs-d’œuvre peints en photographie.

Nina KATCHADOURIAN, en mars 2010, lors d’un vol long-courrier, a l’idée, en utilisant uniquement des matériaux trouvés dans les toilettes de l’avion et en travaillant uniquement avec son téléphone portable, se prendre en photo. Le résultat : des autoportraits au style proche des peintures flamandes du 15e siècle. Depuis, la photographe a multiplié les autoportraits : https://www.ninakatchadourian.com
Cindy SHERMAN
Née en 1954 à Glen Ridge (New Jersey, États-Unis)
Vit et travaille à New York
Cindy SHERMAN étudie la peinture au State University College de Buffalo jusqu’en 1976. Un an plus tard, elle s’installe à Manhattan et sous l’influence de quelques-uns de ses condisciples (dont Robert LONGO) elle découvre la photographie à travers les documents de l’art conceptuel. Elle s’intéresse alors à des artistes comme John BALDESSARI (1931-2020), GILBERT & GEORGE (1943- et 1942-), William WEGMAN (1943-) ou Eleanor ANTIN (1935-).
En 1977, elle réalise sa première série reconnue internationalement, les « Untitled Film Stills » (en français, photographies de plateau). Ensemble de photographies noir et blanc, dont l’unique modèle est l’artiste elle-même, les clichés rejouent dans des décors réels les stéréotypes de la représentation féminine, présents dans les films des années 1950. Si cette série connaît un certain succès, c’est surtout à partir de 1982, année de sa participation à la documenta 7, à la Biennale de Venise et l’année suivante à la Biennale du Whitney Museum que Cindy Sherman acquiert une dimension internationale qui ne fera dès lors que s’accroître.

Organisée par grandes séries, l’œuvre de Cindy Sherman développe une problématique liée au regard porté sur la femme, sur soi et sur l’autre, à travers l’image. Bien que l’artiste soit le modèle quasi exclusif de ses photographies, sa démarche ne peut pas être assimilée à un travail sur l’autoportrait. Bien plus que la propre personne de l’artiste, ce que met en question cette œuvre c’est la perte de l’individualité et la normalisation des typologies imposées par les conventions sociales et les figurations médiatiques. Figurant dans des œuvres sans titre mais numérotées, le corps est également sans identité, masqué, maquillé, déguisé, et vient réactiver dans le cadre de l’image le simulacre de la société. Cindy Sherman pose un véritable travail d’actrice, transformant son propre corps en une multitude de personnages, investit son atelier comme une scène de théâtre, et incarne l’autre par des traits poussés à l’extrême, où les figures archétypales oscillent entre tragédie et comédie. La mise en scène, plus ou moins discrète ou élaborée, met en avant le jeu de la représentation, les rôles que chacun endosse au quotidien.
Toutes les images sont porteuses de stéréotypes et ce sont donc les peintures classiques autant que les affiches publicitaires, les illustrations de magazines, les héroïnes de cinéma ou du commerce de l’érotisme, qui animent l’œuvre de Cindy Sherman. Elle s’approprie les codes identitaires autant que les différents genres visuels (page centrale, photographie de mode, portrait historique, film stills, etc.).
Source : dossier pédagogique de l’IAC, Villeurbanne
Références artistiques possibles
- Albrecht DÜRER (1471-1528), Autoportrait aux gants , 1498, peinture sur bois, représentation distincte de soi, 52×41 cm, Musée du Prado, Madrid
- Jérôme BOSCH (1450-1516), Le Portement de croix, 1510-1535, huile sur panneau de bois, 76,7×83,5 cm, Musée des beaux-arts, Gand
- Franz Xaver MESSERSCHMIDT (1736-1783), L’Homme qui bâille, 1771-1781, buste en bronze
- Guillaume DUCHENNE DE BOULOGNE (1806-1875), Stimulation électrique, 1854, photographies scientifiques
- August SANDER (1876-1964), Konditor, Koln (Pâtissier, Cologne), 1928, épreuve gélatino-argentique, Cabinet de la photographie, Centre Pompidou, Paris
- Felix NUSSBAUM (1904-1944), Autoportrait dans le camp (détail), 1940, huile sur contreplaqué, 52,5×41,5 cm
- Martial RAYSSE (1936-), Life is so complex, 1966, plexiglas coloré, 150,5x260x4,5 cm, Musée de Grenoble
- Chuck CLOSE (1940-2021), Big self-portrait, 1967-1968, acrylique sur toile, 273×212 cm
- Andy WARHOL (1928-1987), Self-Portrait, 1966, acrylique et sérigraphie sur 9 toiles, dimensions de chaque toile : 57,2×57,2 cm, MoMA, NY
- Christian BOLTANSKI (1944-2021), Dix portraits de Christian Boltanski, photographies, 1972
- Jean-Michel JOURNIAC (1935-1995), Hommage à Freud, photographies, 1972
- Cindy SHERMAN (1954-), Untitled Film Still, photographies, 1978
- Andy WARHOL (1928-1987), Self-portrait in drag, polaroid, 1981
- Nancy BURSON (1948-), Second composite (Jane Fonda, Jacqueline Bisset, Diane Keaton, Brook Shields and Meryl Streep), photographies, 1982
- Pierrick SORIN (1960-), Les réveils, vidéo, 1988
- Friederike van LAWICK et Hans MÜLLER, La folie à deux, 1992, photographies
- Gordon DOUGLAS (1966-), Monster, 1997, diptyque photographique
- Gilbert GARCIN (1929-2020), Vanité, 1998, photographie
- ORLAN (1947-), Self-hybridation, 1999
- Ron MUECK (1958-), Autoportrait de l’artiste, Mask II, 2001, technique mixte, 77,2×118,1×85,1 cm
- Roman OPALKA (1931-2011), 1965/ 1 – ∞ Détails (autoportraits), 1965-2011, photographies
Voir aussi la culture du selfie (: autoportrait photographique réalisé avec un smartphone puis téléversé sur les réseaux sociaux).

Portrait, autoportrait, autobiographie et identité à travers l’art vidéo
L’association imagespassages propose dans le cadre de son action d’éducation à l’image et aux nouveaux médias une initiation à l’art vidéo en classe par la présentation de monobandes d’artistes issues de son centre ressources sur le portrait, l’autoportrait, l’autobiographie et l’identité.
Aujourd’hui, de nombreux artistes continuent de perpétuer la tradition du portrait et de l’autoportrait à travers le médium vidéo, utilisant l’autofiction, l’autodérision ou la narration autobiographique, comme autant d’outils affichés d’une profonde quête identitaire. L’autofiction vidéo leur sert bien souvent à exhiber des fantasmes, des histoires personnelles ou des tragédies, tout en se parant d’un masque romanesque emprunté à la littérature.
Repères sur l’art contemporain dans l’histoire
Introduction du portrait dans l’histoire de l’art classique
- L’évolution du portrait : le portrait religieux qui représente le divin donc le non visible, les portraits royaux, les portraits bourgeois.
- Les liens avec l’autobiographie et son développement au 19e siècle en relation avec les sciences humaines.
- Les évolutions technologiques et créatives, la photographie et son principe de reproduction, la vidéo.
- Le portrait questionne l’identité et interroge le concept de la représentation.
En quête de soi
Les avant-gardes ont œuvré à l’édification d’un monde nouveau et ont relégué au second plan le sujet : le motif autant que l’individu. Dans l’après-guerre, temps des failles et de la désillusion, on tente de reconstruire le monde autour de l’homme, celui qui s’exprime comme celui qu’on représente. On constate un retour dans les œuvres à des formes qui révèlent un rapport au monde individualisé.
Photographie et psychanalyse transforment radicalement les enjeux du portrait, interrogent la fonction d’identité et exhibant les conflits internes qui tiraillent l’individu et menacent son intégrité.
Autoportrait
Apparu à la fin du Moyen-Âge, ce genre obéit pour l’artiste à des motivations diverses : pallier l’absence d’autre modèle, se présenter dans une position sociale, sonder le mystère de son être.
Dans le prolongement de cette tradition, Pablo Picasso multiplie les représentations du peintre au travail face à son modèle, mêlant souvent l’autoportrait professionnel à l’intimité de la relation amoureuse.
Francis Bacon tente de saisir la matière mouvante de son propre visage.
Max Beckmann avec ses 80 autoportraits réalisés entre 1899 et 1950 se situe dans la filiation de Rembrandt : la vision qui se dégage de l’ensemble est celle d’une existence frappée de discontinuité, d’un individu aux prises avec les aléas de l’histoire et avec ses propres troubles.
En 1948-49 Andy Warhol se dessine avec un doigt dans le nez, corrigeant ironiquement ce visage qu’il n’a pas choisi. » Si vous voulez tout savoir sur Andy Warhol, vous n’avez qu’à regarder la surface de mes peintures, de mes films, de moi. Me voilà. Il n’y a rien dessous. «
ORLAN et sa pratique artistique : transformation de son corps, prothèses (lien avec la performance et le corps de l’artiste).
Double « je »
S’inventer un double et s’observer peut fournir un moyen d’assumer les multiples facettes de sa personnalité.
Chez Max Ernst dans un cycle de collage au début des années 30, il représente la figure de Loplop alias Hornebom alias Max Ernst. Par ce jeu d’identification, les frontières du sujet s’estompent.
Le dédoublement, l’artifice seul permet encore le portrait par une mise à distance. L’artiste est dans son œuvre, sans toutefois y être totalement.
Les artistes Gilbert & Georges cultivent également l’ambiguïté avec leurs ressemblances vestimentaires et physiques et multiplient les effets de permutation dans leurs compositions photographies fondées sur la répétition et la symétrie.
Jeux de genres et jeux de rôles
Marcel Duchamp s’invente un double féminin Rrose Sélavy et affuble La Joconde de moustaches.
Pierre Molinier dans la mouvance surréaliste poursuit avec ses photographies une identité morcelée : il s’y compose un personnage androgyne.
Dans ce travail sur soi passant par la métamorphose du corps : dès lors ce n’est plus tant l’identité qui est questionnée (quoique le visage soit recouvert de peinture comme chez Bruce Nauman) mais l’existence physique.
L’œuvre de Cindy Sherman prise dans son ensemble se présente comme une vaste galerie de personnage et de rôle qu’elle-même campe au prix de déguisements qui la rendent plus ou moins méconnaissable. Caméléon, elle arpente les scènes de la peinture ancienne, les films hollywoodiens, suggérant des bribes de narration laissées en suspens. Ce goût du travestissement ramène aux déguisements de l’enfance n’en est pas moins inquiétant par la scission de la personnalité qu’il suggère.
Bruce Nauman quand il se filme en train de faire des grimaces, se moque autant de lui même que de la croyance dans le pouvoir de transformation de l’art.
Les vidéos de Pierrick Sorin le montrent dans des situations inconfortables voir grotesques et dénigrent la figure de l’artiste.
Mythologies personnelles et enquêtes de soi
Le nouveau roman est un nouveau type de narration où l’auteur ancre son récit dans le quotidien et se consacre à traduire une réalité psychologique que le personnage classique est devenu incapable de contenir.
Des artistes s’approchent de cette conception du récit, comme on le voit dans les biographies fictives construites de Christian Boltanski ou d’Annette Messager. Ils travaillent sur des données personnelles si communes que chacun peut y reconnaître une part de lui-même (enfance, image sociale de la femme).
Valérie Mréjen réalise des films, elle fait des portraits en demandant à des personnes de raconter leurs histoires qui font écho à la sienne (en lien avec ses origines).
Auto-fictions
Sophie Calle et son œuvre plus évidemment autobiographique fonctionnent sur des transferts d’intimité (Douleur exquise, No sex last night).
La photographe Nan Goldin rassemble depuis 1969 les pièces d’une autobiographie photographique : ses images documentent crûment sa vie intime et celle de son entourage.
Joel Bartoloméo enregistre en vidéo ses relations avec sa famille et son quotidien.
La distance entre l’art et le réel s’amenuise jusqu’à disparaître (relation également avec la littérature française actuelle : Christine Angot)
Liens également avec les vidéos faites par des amateurs en ligne (Dailymotion, YouTube).
Le portrait et la réalité
Le réalisme du portrait interroge ce qui nous nous détermine ? Notre physique, notre nom, l’endroit où nous sommes nés, là où l’on vit ?
Les sérials portraits de Sigrid Coggins (artiste vidéaste d’Annecy).
Écart entre ce que nous croyons être, ce que nous voulons être, ce qu’autrui perçoit de nous : histoire de voir et d’être vu.
Le portrait dans notre société
Photographie d’identité nécessaire sur nos papiers pour nous « reconnaître » ; le portrait robot.
L’identité personnelle et collective : aujourd’hui nous vivons dans un système de surveillance : vidéosurveillance avec les caméras dans les espaces publics, le fichage avec les téléphones portables et cartes bancaires.
Relation au voyeurisme et son retentissement dans les médias (la télé-réalité).
(Voir également les vidéos de Jans Peters, Carine Doerflinger qui met en scène son corps, les photographies de Valérie Belin, Florence Lambert, Euxyseme, Anne Katrin Dolven)
Source imagespassage

* Détail de Do it Yourself (Violin) signé et daté au dos Andy WARHOL / 62′
crayon graphite et crayons de couleur sur papier, 76,2 x 101,6 cm, 1962.
Références aux programmes
Domaines de l’investigation et de la mise en œuvre des langages et des pratiques plastiques
La représentation, ses langages, moyens plastiques et enjeux artistiques
La ressemblance et ses codes : relation au modèle, tirer parti de l’écart avec la réalité (potentiel plastique et sémantique), spécificités propres aux différentes pratiques (picturales, sculpturales, photographiques)
La représentation du corps : pluralité des approches et partis-pris artistiques, incidences sur l’idée de portrait
*Photographies mises en avant : Cindy SHERMAN, History Portraits/Old Masters, 1988-1990