La Filature

Plongez le spectateur dans le suspense d’une filature, en exploitant les points de vue objectifs et subjectifs de votre récit.

#mise en scène #point de vue #cadrage #récit
  • Filature : action de filer, de marcher derrière quelqu’un, de le suivre pour le surveiller, épier ses faits et gestes. Exemple : un policier qui file un suspect.
  • Suspense : état d’attente anxieuse de la suite de l’action suscité chez le spectateur.

Objectifs

Les objectifs de cette séquence sont d’amener les élèves à :

  • représenter le corps, suggérer l’espace
  • créer un récit graphique ou pictural
  • exploiter avec pertinence le cadrage et les points de vue objectifs et subjectifs dans une narration figurée.

Questions

De quelle façon les choix du cadrage et du point de vue peuvent-ils faire sens dans le récit ?

En quoi la succession des points de vue crée-t-elle une narration visuelle ? Dans quelle mesure le point de vue subjectif peut-il accentuer l’effet de tension nécessaire au suspense ? Comment l’organisation des images peut-elle participer à cet effet ?

[Cf. Représentation du corps et de l’espace ; dialogues entre narration figurée, temps, mouvement et lieux]

Évaluation

L’évaluation portera sur :

  • l’élaboration et la lisibilité du projet ‒ notamment les études préparatoires des représentations du corps et de l’espace dans le carnet
  • le choix et la maîtrise des moyens plastiques d’expression
  • la structure et la clarté du récit
  • la justesse des références convoquées.

Le cadrage

Les échelles de plan

Point de vue objectif et subjectif

Point de vue : endroit d’où l’on découvre un espace, une perspective. Au cinéma, le point de vue du spectateur correspond à celui de la caméra, « œil » par lequel les spectateurs verront toutes les images du film.

Le récit cinématographique utilise pour l’essentiel une succession de points de vue, qui conduit à voir un personnage, puis à prendre sa place, et à voir ce qu’il voit, à entendre ce qu’il entend…

Ce dernier correspond au point de vue interne de la narration. Il peut être rapporté au regard d’un personnage, c’est alors un point de vue optique subjectif, du simple raccord sur regard qui nous place brièvement dans le champ de vision du personnage au film entièrement tourné en caméra subjective.

Hardcore Henry (2016) de Ilya NAISHULLER, raconte l’histoire d’un ancien soldat transformé en cyborg à la suite d’un grave accident. Il se retrouve plongé dans une histoire rocambolesque, remplie de stéréotypes et de clins d’œil à la culture du jeu vidéo. Tourné à l’aide de caméras GoPro, le film propose une approche peu courante au cinéma : une immersion en vue subjective, à travers des plans en première personne.

Dans La Dame du lac (1947) de Robert MONTGOMERY, après un discours introductif du personnage face au spectateur, la caméra prend la place exacte du personnage, et la suite du film se déroule avec ce point de vue subjectif, accompagné de la voix off ; on parle même de caméra subjective (une distinction est parfois établie entre plan subjectif, qui reproduit le regard du personnage, et caméra subjective, qui reproduit en outre les mouvements du corps du personnage).

Quand le point de vue n’est pas identifié comme le regard d’un personnage, mais sans être nécessairement omniscient et donne cette impression d’objectivité par rapport au monde de la fiction. C’est le terme de point de vue optique objectif qui est alors utilisé.

Autres points de vue

Il n’est pas nécessaire que les plans soient objectivement vus par un personnage, comme dans le cas des plans subjectifs optiques, pour que le spectateur éprouve globalement que ces plans ou ces scènes relèvent émotionnellement du point de vue de ce personnage. Le point de vue psychique n’est pas le point de vue optique, mais il fonctionne parfaitement en termes d’identification au personnage. Dans les scènes choisies, même s’il est clair que le personnage central ne peut pas voir les plans que nous voyons, il en est pourtant le foyer émotionnel, nous le ressentons à travers lui.

Dans Le dernier des hommes (1924) de Friedrich W. MURNAU, l’enivrement du personnage sera montré par des plans subjectifs ; mais il l’est d’abord par un plan « objectif », avec une caméra qui se balance, comme si elle accompagnait et traduisait l’intériorité du portier d’hôtel.
Dans Faux coupable ( 1957) d’Alfred HITCHCOCK, la lumière, les ombres tranchées, les cadres, le tournoiement de la caméra traduisent l’angoisse du personnage, alors que l’on reste en point de vue « objectif » ; nous partageons la vision d’un monde tout entier devenu une prison, vision propre au personnage, dont nous sommes proches.

Une des spécificités du langage cinématographique est de pouvoir jouer entre le point de vue de l’image et le point de vue du son. De même qu’il y a pour chaque plan un point de vue visuel, il y a aussi un point de vue sonore. Les deux points de vue, sonore et visuel, sont très fréquemment décalés et dissociés. Le hors champ existe souvent, au cinéma, grâce à la présence d’un son, dont la source d’émission n’est pas visible, mais imaginée par le spectateur dans le hors champ.

Vocabulaire à retenir

Cadrage, champ, contrechamp, hors champ, profondeur de champ, point de vue, plan d’ensemble, plan général, plan moyen, plan italien, américain, plan rapproché, gros plan, très gros plan, angle de prise de vue, vue en plongée, vue en contreplongée, net, flou, instantané, bougé…

Extraits de films, filatures et suspense

  • Fritz LANG (1890-1976), M – Eine Stadt sucht einen Mörder (M le Maudit), 1931, film à suspense de 117 min, avec Peter Lorre et Ellen Widmann
  • Alfred HITCHCOCK (1899-1980), Rear Window (Fenêtre sur cour), 1954, film à suspense de 109 min, avec James Stewart et Grace Kelly
  • Alfred HITCHCOCK (1899-1980), Vertigo (Sueurs froides), 1958, film à suspense de 128 min, avec James Stewart et Kim Novak
  • Michelangelo ANTONIONI (1912-2007), Blow-up, 1966, drame de 111 min, avec David Hemmings et Vanessa Redgrave
  • William FRIEDKIN (1935-2023), French Connection, 1971, film policier de 104 min, avec Gene Hackman et Fernando Rey
  • Francis Ford COPPOLA (1939-), The Conversation (Conversation secrète), 1974, film d’espionnage de 113 min, avec Gene Hackman et John Cazale
  • John SCHLESINGER (1926-2003), Marathon Man, 1976, film à suspense de 125 min, avec Dustin Hoffman et Laurence Olivier
  • Spike JONZE (1969-), Being John Malkovich (Dans la peau de John Malkovich), 1999, comédie fantastique de 112 min, avec John Cusack, Cameron Diaz et John Malkovich

Sources

  • Le point de vue, de la vision du cinéaste au regard du spectateur, Joël MAGNY, Éd. Cahiers du cinéma, CNDP, 2001
  • Le point de vue, Alain BERGALA, DVD, Éd. SCÉRÉN-CNDP, L’Éden CINÉMA, 2007
  • Le vocabulaire du cinéma, Marie-Thérèse JOURNOT, 2e édition, Armand Colin, Paris, 2008

Références artistiques possibles

Walker EVANS, Une jeune fille sur Fulton Street, New York, 1929
  • Walker EVANS (1903-1975), Une jeune fille sur Fulton Street, New York, 1929, Collection MoMA, New York
  • Andy WARHOL (1928-1987), Thirteen Most Wanted Men, 1964, fresque murale pour le Pavillon de l’État de New York à l’Exposition universelle de 1964 à Flushing Meadows Park, dans le Queens, à New York
Vito ACCONCI, Following Piece, 1969
  • Vito ACCONCI (1940-2017), Following Piece, du 3 au 25 octobre 1969, photographies. Vito Acconci file des personnes dans les rues de New York jusqu’à ce qu’elles entrent dans un lieu privé. https://www.moma.org/collection/works/146947
  • Duane MICHALS (1932-), Things are Queer, 1973, suite de neuf photographies. Les jeux entre les espaces perçus et les changements d’échelle lors de la lecture des différentes images font perdre les repères au spectateur, plaçant le spectateur en face des contradictions entre ce qui est vu et ce qu’il pense voir.
  • Mac ADAMS (1943-), The Mysteries, 1973-1980, série photographique
Sophie CALLE, La Filature (Autoportrait), 1981
  • Sophie CALLE (1953-), La Filature (Autoportrait), 1981, photographies et texte. « Selon mes instructions, dans le courant du mois d’avril 1981, ma mère s’est rendue à l’agence Duluc détectives privés. Elle a demandé qu’on me prenne en filature et a réclamé un compte rendu écrit de mon emploi du temps ainsi qu’une série de photographies à titre de preuves. » https://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-CALLE/ENS-calle.html
  • Ange LECCIA (1952-), Arrangement Stasi, 1990, installation, 2 caméras de surveillance
  • Jacques MONORY (1924-2018), Robert Aldrich, 1991, acrylique sur toile, 178×232 cm
Philip-Lorca diCORCIA, Streetwork, 1997
  • Philip-Lorca diCORCIA (1953-), Streetwork, 1992-1997, clichés de passants – https://americansuburbx.com/2015/08/philip-lorca-dicorcia-reflections-on-streetwork-1993-1997.html
  • Sophie CALLE (1953-), Vingt ans après, 2001, ensemble composé de 32 photographies en couleur, 17,5×25,8 cm ou 25,8×17,5 cm (chacune), partiellement assemblées en groupes, une photographie n/b, 80×60 cm, 8 textes, 30×21,5 cm (chacun), 1 texte, 85×131 cm
  • Michelle TERAN, Life: A User’s Manual, 2003. En parcourant les rues de la ville avec un scanner vidéo, l’artiste donne à voir une couche cachée de fragments et d’histoires personnelles diffusées par les propriétaires de caméras de surveillance.
Marie SESTER, ACCESS, 2003
  • Marie SESTER (1955-), ACCESS, 2003. L’installation artistique interactive qui permet aux internautes de traquer des individus anonymes dans les lieux publics, en les poursuivant à l’aide d’un projecteur robotisé et d’un système de faisceau acoustique. L’œuvre traite de notre obsession pour la surveillance, le contrôle, la visibilité et la célébrité.
  • Samuel BIANCHINI, Discontrol Party 2, 2011, dispositif festif interactif basé, entre autre, sur la reconnaissance faciale, programmation musicale : Sylvie Astié (Dokidoki), La Gaîté Lyrique, Paris
  • Paolo CIRIO (1979-), Street Ghost, 2012, affiche in situ. En taille réelle, il colle dans les rues les images des personnes photographiées à leur insu par les caméras de Google Street View à l’endroit exact où les prises de vues ont été faites, histoire de perturber la frontière entre fantômes numériques et reproductions bien réelles stockées dans les archives de Google.

Références aux programmes

Domaines de l’investigation et de la mise en œuvre des langages et des pratiques plastiques : outils, moyens, techniques, médiums, matériaux, notions au service d’une création à visée artistique

La représentation, ses langages, moyens plastiques et enjeux artistiques

– Représentation du corps et de l’espace : diversité des approches
et des partis-pris

La figuration et l’image

– La figuration et la construction de l’image : les espaces que
détermine l’image et qui déterminent l’image.

– Temps et mouvement de la figuration : dispositifs séquentiels,
simultanéité, enchaînement, temps représenté ou ressenti.

– Narration figurée, supports et langages : intégration sur différents supports, dans l’espace, association avec l’écrit et la voix.


The Mysteries, 1973-1980

Mac ADAMS, Bicycle, 1977, photographie

Les photographies de Mac ADAMS abordent la question de la narration avec une économie de moyens, explorant le potentiel fictionnel pouvant émerger de la juxtaposition de quelques images ou objets : « Comment peut-on raconter une histoire en n’utilisant pas plus de deux ou trois images, ou une situation utilisant le moins possible d’objets ? », interroge l’artiste.

Parce que la complexité des relations entre les éléments de la narration – personnages, faits, lieux, objets, etc. – constitue dans la série noire, plus que dans tout autre univers fictionnel, le nœud même de la narration, celui-ci s’est imposé à Mac Adams, dès ses premières photographies, comme un champ d’investigation de prédilection. Ses œuvres, souvent organisées en séquence de deux ou trois images, nous donnent à voir des bribes narratives desquelles l’action principale est toujours absente, reléguée dans l’espace entre les images, dans l’ellipse temporelle, ou le hors-champ. Mac Adams définit cette approche sous le terme de « vide narratif ». L’image devient un réseau d’indices que le spectateur est invité à parcourir sur le mode de l’enquête, mettant à jour les mécanismes et les ressorts de l’intrigue elle-même en même temps qu’elle en propose une lecture ouverte.

Mac ADAMS, Fury, 1976, photographies